samedi 22 décembre 2007

Nadine

Il faisait beau ce dimanche de printemps. Une belle journée pour profiter du jardin. Bien sûr, il n'était pas très grand ce jardin. Tout en longueur, avec au bout, je me souviens, un petit muret sur lequel il m'arrivais parfois de monter.

Il y avait du monde ce jour-là. Plusieurs générations réunies autour de la table. Toute une famille, vu de l'extérieur. J'étais arrivé avec Nicolas chez sa mère. Un garçon de presque trente ans qui semblait beaucoup s'occuper de tout, de tous. Depuis longtemps maintenant, il avait endossé le rôle de "l'homme de la maison" et agissait comme un décideur dans sa famille. La situation était nouvelle pour moi: j'étais le petit ami de Nicolas; mais Nicolas ne me présentait pas comm
e tel devant Nadine, sa mère.
Pour ma première journée chez elle, je fais
ais attention et cherchais comment je devais être avec les autres. Ils parlaient tous très fort. Trop. Et tous en même temps. Je n'en avais pas l'habitude et avait le réflexe de me mettre en retrait parce qu'il n'y avait pas besoin d'un de plus qui se mette à parler par dessus les autres. Puis j'ai compris que si. Qu'il me faudrait faire comme eux. C'était leur moyen de communication. En ça, ils ne cherchaient pas à s'interrompre ou à se dominer. C'était juste leur façon à eux de se parler. Alors j'ai parlé fort, moi aussi, et en même temps que les autres.
Nous mangions dans la cuisine avant de passer l'après-midi dans le jardin à jouer avec le chien. Wolf semblait infatigable et adorait qu'on lui lance un bout de corde qu'il mâchouillait depuis longtemps apparemment.

Deux semaines avaient passées avant que je ne revienne avec Nicolas pour un autre repas de famille. Simone, la mère de Nadine, était assez petite, âgée aussi, mais parfaitement présente. Le genre de grand-mère qu'on ne risque pas d'oublier dans un coin. Avec elle, j'avais vite compris d'où venait, à tous les membres de cette famille, le don de parler si fort en étant si près. Simone avait toujours une plaisanterie à faire. Son vocabulaire se ponctua
it de grossièretés et d'exclamations.
C'était beau de voir Simone et Nadine si proche, toujours ensemble, comme deux sœurs ou comme si ce pouvait être toujours le dernier jour. Le frère de Nadine ne paraissait pas blessé de la complicité de ces deux femmes qui le mettait du fait un peu à l'écart.


Plus tard, c'est en semaine que je revenais. J'avais porté mes ciseaux afin de coiffer Nadine. Elle voulait être au mieux pour sa visite du lendemain chez le médecin. Un gastroentérologue. Il devait vérifier l'évolution du cancer et ajuster le traitement.
Nadine me disait qu'elle était heureu
se que la chimio ne lui fasse pas tomber les cheveux. Déjà qu'elle en avait toujours pour trois jours avant de se remettre de l'intervention.

Ce qui est excellent pour un coiffeur, c'est que lorsqu'on a réussi à correcteme
nt coiffer une personne, à faire ce qu'elle voulait, alors des barrières se lèvent et une relation s'installe. Comme si le coiffeur qui a su comprendre ce qu'on lui dit et surtout ce qu'on ne lui dit pas pour la coiffure pouvait alors comprendre beaucoup de choses.

Les dimanches suivant, je n'étais plus simple spectateur
des après-midi chez Nadine. Je participais même au déménagement en cours de préparation, pour faire les cartons et les stocker. Nous en avons déposés chez moi aussi.
C'était Nicolas forcement qui prenait les choses en main. Ni son oncle, ni ses frères. Il avait trouvé un appartement avec un jardin. Autant l'intérieur pe
rdait peut-être en surface, que le jardin gagnait en charme avec un arbre au fond.

Le nouveau logement avait deux chambres. une pour Nadine et une pour Fred, le benjamin de ses trois fils qui vivait encore avec elle. Fred suivait des cours dans une école de stylisme la semaine et sortait énormément la nuit pendant le weekend. C'était alors un grand gars musclé, avec une apparence qui le faisait paraître plus mûr que ses 18 ans. Mais encore si jeune dans sa tête. Un enfant qu'il fallait toujours prendre en charge. Un garçon paradoxal.

Nicolas et moi avons passé plusieurs soirées à porter les cartons de la maison à l'appartement. C'était assez difficile pour Nicolas qui ne pouvait faire cela qu'après son travail. Il faisait des pizzas à emporter le soir et ne terminait jamais avant 22h. Il était à fleur de peau par manque de sommeil et inquiétude à cette période. Il jonglait entre les courses pour sa mère, son travail de cuisinier le midi et de pizzaiolo le soir et le temps qu'il voulait consacrer aussi à notre intimité. Alors il ne lui restait plus beaucoup pour dormir et se reposer. D'autant que là, c'était l'appréhension qui prenait le relais quand il n'y avait plus rien à faire que de penser. L'inquiétude pour sa mère qui en était à déjà quatre années de lutte contre un cancer qui ne voulait rien savoir du traitement de chimiothérapie. L'inquiétude pour ce déménagement: Est-ce-que Nadine allait aimer le nouvel appart? Supporterait-elle sans trop de fatigue le changement?
Au moins elle serait bientôt plus proche du travail et du s
tudio de Nicolas qui aurait alors moins de temps gaspillé dans les embouteillages.

Dans les jours qui suivaient, j'accompagnais Nicolas pour nettoyer la maison vidée. Toute sa colère accumulée ces dernier temps est alors sorti d'un coup. Je l'ai vu arracher les plinthes, les jeter par la fenêtre, casser des affaires et crier et jurer jusqu'à ce que la colère ne soit plus assez forte . Les yeux gonflés et rougis, Nicolas m'a présenté ses excuses pour m'a
voir fait vivre ça.

Nicolas avait ôté les herbes folles du nouveau jardin pour lui donner plus fière allure.
Ce dernier a été rapidement aménagé par Nadine avec quelques fleurs et plantations. Elle et Fred avaient rapidement trouvé leurs marques ici. Wolf aussi qui, tout le long des jours, passait du salon au jardin et du jardin au salon en sautant par la fenêtre ouverte.

J'ai pu alors convaincre Nicolas de prendre du temps pour lui. Depuis quatre ans de lutte contre la maladie, lorsque Nicolas ne travaillait pas, il s'occupait de sa mère. Mais à ce jour, il n'était plus célibataire et a
vait, comme moi, envie de profiter de moments à deux. Nous sommes partis à San Sebastian et dans les environs. Quelques jours d'isolement et de repos. Le sommeil était alors réparateur, les journées divertissantes et nous pouvions mieux nous connaître.

Malgré les bons moments, la séparation est arrivée ensuite. Notre séparation. Cela na m'a pas empêché de voir toujours cette p
etite famille autour de Nadine, de venir la coiffer les veilles de chimiothérapie... Ces traitements n'avaient pas une efficacité assez grande. Le cancer gagnait du terrain au sein du corps. Nadine était de plus en plus souvent en examens ou à l'hôpital.

En décembre, nous avons fêté les 50 ans de Nadine. Nous étions plus de 25 au resto d'un ami. Ce jour là, ça parlait vraiment très fort partout. Tout le monde s'interpellait, allait voir les autres. Un excellent repas, un beau dim
anche.

Nicolas et moi nous sommes remis ensemble ensuite. Nous avions toujours gardé une relation particulière, très proche (aujo
urd'hui encore). Pendant cette séparation, c'était comme si nous n'avions pas cassé notre couple, mais simplement arrêté de partager nos nuits. Un jour, d'une façon plus que naturelle, nous avons recommencé à les partager. Sans même en parler. Tout semblait plus que naturel.

Au printemps suivant, l'appartement s'est vidé d'une présence: Nadine est entrée en soins palliatifs.
"Soins palliatifs".
Voila une expression invraisemblable. Les "soins" sont sensés "soigner". Mais "palliatif" nous dit qu'ils sont utopiques et apparent
s plutôt que réellement soignants.
"Soins palliatifs".
C'est juste accompagner les souffrants à la mort. Leur faire passer ce cap.
Pour celui qui y entre, ce n'est pas aller dans n'importe quel hôpital. D'ici on n'en sort pas. C'est le couloir de la mort, le pont des soupirs. Thanatos attend derrière chaque lit.
La situation est dure pour Nadine, mais épouvantable pour Nicolas, Fred, Simone... Nicolas était tous les jours à la clinique. Je venais le voir, le soutenir. Tous les soirs, je rentrais chez moi en pleurant, en aimant plus que jamais mes parents et Nicolas restait sur un lit d'appoint, là, aux côté
s de sa mère.

Je me souviens du soir où il me racontait sa colère parce que les infirmières avaient donné trop tôt le calmant qui permettait à Nadine de dormir avec le moins de mal possible. Son grand frère était arrivé tard, ce soir là et avait alors trouvé sa mère endormie. Il reviendrait demain ou un autre soir pour lui parlé. Il n'allait pas la réveiller alors qu'elle venait enfin de s'endormir. C'était si difficile pour elle, de s'endormir.

Le lendemain,tôt, ce jeudi 9 Mai, Nicolas me téléphone.

Nadine est décédée vers 6h.

Je suis arrivé au plus vite auprès de Nicolas. Je l'ai gardé lon
gtemps en pleurs ans mes bras. Puis nous sommes passé aux pompes funèbres. Nous sommes allé voir Simone. Elle venait de perdre son quatrième enfant.
Il y a eu beaucoup de choses à préparer ce jour-là, malheureusement. Le deuil n'a pas sa place le premier jour.


Le weekend est passé. L'enterrement s'est déroulait le lundi suivant, le
13.

Le matin, Nicolas et moi avions fait l'amour avec une grande force. Pour une douleur sans commune mesure, il faut pouvoir se défouler afin ne pas craquer.


Voila plus de 6 ans que Nadine nous a quittés. Aujourd'hui encore, je pleurs en écrivant ces lignes.



P.S.:Nicolas,
tu trouveras ici quelques inexactitudes. Tu auras des souvenirs différents.
Nous ne retenons pas tous les mêmes moments, et les vivons différemment. J'ai écrit ce texte avec mes souvenirs, ma vision des évènements. J'en ai fait une nouvelle que j'ai modifiée selon mon sentiment actuel, 6 ans après. J'espère que tu pourras me pardonner cet écart.

Merci

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