lundi 21 janvier 2008

L'Arche de Sélène (2)

Ma suite:


Cela faisait plusieurs semaines que la Lune avait quitté sa vieille Terre aujourd'hui nue de vie comme au premier jour. L'humeur, parmi les 5700 nouveaux "luniens" était au deuil. Le deuil de la vie passée, irrécupérable. Le deuil de la famille ou des amis perdus parce que non-sélectionnés. Le deuil de sa maison, sa ville, ses embouteillage, sa
pollution. Tout créait un sentiment de manque. Autant le bon que le mauvais. Tout ce que l'on a tant critiqué manquait aujourd'hui.

Illan s'était déjà mis au travail, comme tous les autres. Il était styliste. Mais dans sa vie de lunien, il lui fallait agrandir son champ de compétences. Autrefois, il accompagnait le directeur des achats de la maison pour laquelle il créait pour choisir les tissus et matériaux à prendre pour les collections futurs. Maintenant, il lui fallait être lui-même l'artisan confectionneur. Il devait fabriquer sa propre matière première. Pour cela, il avait étudié depuis sa sélection pour le programme de sauvetage, il y avait pres
que deux ans. Au milieu de la cité, se trouvait un bureau, comme une mairie, qui répertoriait les 5700 habitants choisis par noms, âge, profession... C'est cette catégorie qui intéressait Illan. Il devait trouver des paysans-éleveurs afin de produire son coton, sa laine, son cuir, son lin. Il y en avait un peu partout dans la cité lunaire. Les habitations et les corps de métiers avaient été répartis de façon relativement homogène pour éviter les ghettos. A côté de cela, il avait déjà commencé à coudre des vêtements car un stock de départ avait été prévu. Il partageait alors son temps entre son atelier et ses recherches de partenaires. Pour le moment, il ne pouvait qu'établir quelques contacts parce que les plantes n'étaient pas encore à maturité pour être transformées et les animaux embarqués étaient trop jeunes pour l'instant. Mais cela ne dérangeait pas pour autant Illan. Il en profitait pour se promener dans la cité. Il visitait l'immensité conçue par d'autres pour ce périple et parlait beaucoup avec tous. Chacun servait de psychologue pour son voisin. Il y avait tant de déprimes, de crises d'angoisse, de pleurs, de cris... Certains voulaient rentrer chez eux, sur Terre. Tout en sachant au fond d'eux que ce n'était pas possible, et qu'ils ne retrouveraient jamais ce qu'ils avaient dû laisser.


La Lune était loin de toute lumière naturelle maintenant. Sortie du système solaire, il n'y avait plus d'étoile proche pour éclairer. Sauf ces deux points brillants qui se distinguaient des autres : le Soleil, on était encore sur son territoire, et la supernova de Proxima du Centaure derrière qui, tel un phare, rappelait tout le temps où en étaient les luniens. "Où" localement, mais également "où" historiquement. Par contre, l'actualité spatiale à ce moment était la traversée du nuage d'Oort. Jusque là, tout s'était bien déroulé. Seulement un tout petit astéroïde n'avait pu être évité et avait percuté la Lune. Mais heureusement sur une partie non-habitée. Oui, "évité" car il y avait des "pilotes" pour cet étrange vaisseau. Dans un q.g. souterrain, une équipe calculait en permanence les risques de collision et la direction de déplacement. Lorsqu'un objet extérieur s'approchait dangereusement, on rallumait certains moteurs pour modifier le cap. Il y en avait tout le tour de ce petit globe, des moteurs. La traversée du nuage d'Oort devait durer environ deux mois encore. On avait conservé des horloges au rythme terrien pour définir les heures et les jours.

Sélène quittait, ce jour, sa cabine de pilotage éreintée par l’ampleur de la mission. Elle regagnait alors son appartement dans le sixième sous-sol. C’était un petit appartement basique avec juste ce qu’il faut pour vivre. On n’avait pas eu le temps de prévoir le superflu. Le sommeil, lui, vint vite. A son réveil, comme à chaque réveil, elle montait au rez-de-chaussée sous la bulle pour contempler l’espace et regarder en direction de la Terre. Elle y pensait tout le temps, comme chacun. De si loin, elle ne voyait plus la planète depuis longtemps. Un autre spectacle s’offrait à elle. Le rayonnement démesuré de Proxima à côté de celui du Soleil. Comme à chaque fois, elle repensait à l’aventure lunaire depuis son début. Les astronomes qui avaient observé les changements qui se produisaient au sein de notre étoile voisine. Les astrophysiciens qui avaient annoncé la sentence. Les premiers centres d’études spatiales qui avaient fait le projet fou de quitter la planète. Et devant l’inévitable, les gouvernements qui se battaient encore. Encore et toujours, pour être LE pays du projet, LE pays investisseur, LE pays sélectionneur, mais aussi LE pays emmerdeur et destructeur. Sélène reprit le chemin des étages inférieurs pour aller grignoter un peu avant de reprendre en main l’équipe de scientifique à qui on avait déposé le devenir de la Lune entre les mains.



La plupart des installations étaient enterrées pour une meilleure protection physique contre d’éventuelles collisions et thermique puisqu’il fallait énormément chauffer l’ensemble de la cité si on ne voulait pas finir congeler. La température avait été un vrai casse-tête dans la conception de la ville lunaire. Les différentes pièces de chaque niveau étaient souvent concentrées autour d’un hall central d’où sortait la climatisation. Quant aux étages, ils étaient reliés entre eux par des escaliers et ascenseurs au bout de couloirs, loin des halls afin d’éviter que la chaleur n’emprunte ses passages pour monter seulement.

Sonia avait conservé, elle aussi, le temps terrien pour s’occuper de ses animaux. Ce n’était pas obligatoire puisqu’il n’y avait plus de jour et uniquement une longue, longue, très longue nuit. Mais c’était bien pratique d’avoir un repère temporel identique avec les autres luniens. Elle devait encore commencer son travail par nettoyer les boxes de ses bêtes puis par nourrir ces dernières. Lors de sa sélection, elle avait hérité des ovinés qu’elle connaissait bien. Elle poursuivait son labeur en trayant les brebis et les chèvres. Sa mission l’amenait à en faire des usages multiples : du lait buvable sans s’étrangler à des fromages variés qu’elle réinventait tous les jours. Ce jour-là, elle reçu un jeune homme qui voulait lui récupérer la laine des moutons. Il voulait en faire du tissu. Il avait plusieurs personnes à rencontrer encore mais se proposait pour venir lui donner un coup de main à la tonte puisque lui-même n’avait presque plus de matériau à travailler….

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